Afrique des Grands-Lacs
Afrique et Histoire : reconnaissance d’un historien émérite
Jean-Pierre Chrétien, historien de l’Afrique des Grands Lacs, vient d’être fait chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion du 14 juillet 2012 au titre du ministère de la Recherche.
Biographie
Né le 18 septembre 1937 à Lille, Jean-Pierre Chrétien a fait ses Études secondaires au lycée Faidherbe de Lille, puis Hypokhâgne à Lille et Khâgne à Louis-le-Grand, Paris. Titulaire d’une maîtrise d’histoire (1960) portant sur « La presse française devant la prise de pouvoir de Hitler », il est reçu 3ème à l’agrégation d’histoire en 1962.
A propos du Rwanda
Jean-Pierre Chrétien, ayant fortement remis en cause les stéréotypes racistes en vigueur lors de l’analyse du Rwanda et du génocide des Tutsi, s’est attiré les foudres des courants qui n’acceptent pas la contestation de la politique de la France au Rwanda, ni de celui du Hutu Power, qui nie même l’existence du génocide qu’il a organisé et réalisé en 1994 dans ce pays.
Dans ses rapports, articles et ouvrages, M. Chrétien a défendu la thèse d’une préméditation du génocide (thèse aujourd’hui indiscutable), et critiqué le président Juvénal Habyarimana et son régime raciste.
Des débats ont eu lieu entre Jean-Pierre Chrétien et d’autres spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs, portant sur des divergences d’appréciations sur l’histoire et la culture des populations de cette région.
Mais c’est surtout pour ses prises de positions sur l’Histoire immédiate du Rwanda que Jean-Pierre Chrétien aura été la cible de nombreuses attaques.
Ainsi, en 1995, Jean-Pierre Chrétien, a été surnommé « historien professionnel et ethnologue amateur » par le Club de l’Horloge, think-tank de la Nouvelle Droite française, qui veut véhiculer en France les idées racistes et racialistes de l’extrême droite.
Bernard Lugan, l’une de ces figures réactionnaires, fer de lance de l’analyse raciste reproche ainsi à Jean-Pierre Chrétien d’assimiler les ethnies rwandaises à des « groupes socio-professionnels » : Les travaux des principaux chercheurs, dont on peut lire une recension quasi-exhaustive dans le livre de Jean-Luc Galabert, Les Enfants d’Imana - Histoire sociale et culturelle du Rwanda ancien, appuient cependant la thèse de Jean-Pierre Chrétien.
En chercheur avisé, Jean-Pierre Chrétien considère que la situation de la région des Grands Lacs présente une situation d’« ethnicité particulière » qui ne peut s’expliquer que par l’Histoire. La catégorie d’ethnie ne doit ainsi pas être considérée comme une donnée atemporelle, mais être considérée dans son évolution chronologique et son élaboration progressive. Pour lui, dans la région des Grands Lacs, loin de recouvrir une identité culturelle déterminée, l’ethnie y correspond traditionnellement à un phénomène social d’identité héréditaire (éleveurs versus agriculteurs), phénomène largement dévoyé par l’administration coloniale et l’église qui a finalement, au cours des réécritures récentes de l’Histoire, laissé la place à un sentiment catégoriel « racial » qui s’est cristallisé de manière très rapide, en quelques décennies seulement (l’église ayant alors la main mise sur l’éducation) : Jean-Pierre Chrétien affirme que le clivage actuel entre Tutsis et Hutus a été réifié et instrumentalisé par le colonisateur qui a racialisé les conceptions sociales antérieures.
Parmi les idiots utiles à la dissimulation de l’engagement français auprès des génocidaires rwandais, le journaliste camerounais Charles Onana se sera particulièrement illustré dans ses diatribes contre Jean-Pierre Chrétien. Le journaliste et éditeur françafricain (qui tente aujourd’hui, sur le dos des Ivoiriens, de s’exonérer de ses accointances avec les négationnistes du génocide, mais également avec l’armée et la diplomatie française) reprochait à Chrétien de n’avoir « ni doctorat, ni DEA en histoire ».
On se permettra d’accorder à Onana que la qualité de ses diplômes - tout comme sa brillante carrière universitaire... ou encore la pertinence des oeuvres qu’il a écrites ou éditées - n’ont rien à voir avec la production ou le travail du brillant chercheur et historien lillois.
Finalement, faisant fi des critiques des tenants du racisme et/ou du négationnisme, Jean-Pierre Chrétien, en 2000, aux côtés d’autres chercheurs africanistes, s’engagea dans la publication d’une critique des méthodes employées par les tenants des théories afrocentristes. Il participera avec ces derniers à la publication de l’ouvrage collectif, Afrocentrismes.
Il ne manquera pas, pour ceci, de s’attirer les foudres de Théophile Obenga, universitaire africain qui se veut le continuateur des thèses de Cheikh Anta Diop sur l’origine sub saharienne de la civilisation égyptienne.
Quoiqu’ont pu en dire ses détracteurs, pour différents motifs que nous ne saurions exposer ici en totalité - de la bêtise crasse à la volonté de mettre, coûte que coûte, en avant une mythologie surannée, en passant par les motifs politiques et professionnels les moins avouables de ceux qui, en correspondants dociles de la diplomatie et de l’armée française auront soutenu la participation française au génocide des Tutsi - Jean-Pierre Chrétien est largement reconnu par ses pairs pour la qualité de son travail : il est chercheur émérite du CNRS.
Retraité, aujourd’hui décoré de la légion d’honneur, dont il a été fait Chevalier le 14 juillet dernier, son travail sert et est repris par de nombreux chercheurs : les historiens du monde entier qui travaillent avec la rigueur nécessaire à l’édification de cette science que la politique aura toujours cherché à travestir et à manipuler peuvent s’appuyer sur la contribution à l’écriture de l’histoire de l’Afrique, et plus particulièrement à l’Afrique des Grands-Lacs, qu’il leur aura léguée.
Sources :
A lire :
Les Enfants d’Imana - Histoire sociale et culturelle du Rwanda ancien, de Jean-Luc Galabert - Izuba éditions
Illustration : Extrait - Jean-Pierre Chrétien sur le terrain en 1967 au Burundi © DR (Afrikarabia)
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