« Entreprise libérée » : Expérimentations et apprentissages

9 novembre 2025 | Isabelle Bouchard, Samuel Raymond, Vincent Roy

Fondée en 2004 en Beauce, l'entreprise RG dessin est une entreprise privée de dessin industriel de 12 employé·es qui s'inspire du concept d'entreprise libérée. Une gouvernance qui emprunte des éléments d'autogestion tout en conservant certains traits propres aux entreprises privées. Comment se déploie cette philosophie dans l'entreprise ?

Entrevue avec Vincent Roy, président co-fondateur de l'entreprise privée RG dessin. Propos recueillis par Isabelle Bouchard et Samuel Raymond.

À bâbord ! : En quoi consiste le concept « d'entreprise libérée » ?

Vincent Roy : La première caractéristique d'une entreprise libérée est celle de la transparence généralisée de la gouvernance. Cela veut dire que nous rendons disponibles le plus d'informations et de données possible. Que ce soient ce que l'on facture aux clients, le coût des opérations, les salaires des salarié·es, les impacts des décisions, tout cela est connu.

Chaque trois mois, nous rendons disponibles nos dépenses et nos revenus. Les employé·es peuvent consulter ces données sur notre logiciel de gestion en tout temps. Nous refusons que le pouvoir des chiffres soit concentré dans les mains d'un petit groupe. Certain·es employé·es développent ainsi une connaissance intime de l'entreprise en ce qui concerne les chiffres.

Au-delà de ça, nous pratiquons « la délégation radicale des décisions » dans la mesure où nous avons une confiance absolue que nos salarié·es sont en mesure de prendre des décisions pour le bien commun. Par exemple, les employé·es gèrent mon salaire et les leurs. Nous ajustons les salaires une fois par année en tâchant de les maintenir concurrentiels. Ils et elles sont invité·es à prendre des décisions pour l'entreprise, mais aussi pour le bien de notre communauté : on a donné un montant x pour une salle de spectacle, on a rendu notre terrain plus vert, etc.

La perte la plus importante pour moi, ce n'est pas qu'un·e employé·e vole du temps ou du matériel à l'entreprise, mais plutôt qu'un·e employé·e ait uniquement travaillé sans avoir mis à contribution sa propre créativité. Laisser de l'espace à la créativité, c'est de l'engagement !

Cela va de pair avec l'acceptation de la prise de risque. J'accepte que certaines initiatives ne fonctionnent pas. Sans cela, les gens ne prendront pas de décisions, ne développeront pas leur autonomie et l'entreprise ne se libérera pas. Cela n'est pas simple, car les employé·es ont le réflexe de me demander la permission ou sont dans l'attente de mes conseils. À force de leur répondre : « Toi, qu'en penses-tu ? Que ferais-tu ? », alors ils et elles finissent par s'habituer et par prendre les décisions. Il va de soi que si j'étais informé d'une prise de décision qui pourrait mettre en péril la viabilité à court terme de l'entreprise, j'utiliserais mon droit de veto, mais cela n'est jamais arrivé en vingt ans.

ÀB ! : Comment se prennent les décisions du quotidien chez RG dessin ?

V. R. : Dès que j'ai vendu un projet, il devient la responsabilité d'une personne ou d'une équipe qui décide de la suite, sauf, pour le moment, ce qui concerne la facturation. C'est l'équipe qui détermine si un crédit est donné au ou à la client·e si le rendu n'est pas parfait. Une fois par semaine, nous tenons une rencontre pour faire le point sur les projets en cours.

Pour les projets d'amélioration intra et extra entreprise, nous procédions auparavant par comité. Cela avait ses limites, notamment à cause de la routine qui s'installait. Maintenant, nous procédons par porteur·euses de projets. Dans ce cas, on s'en remet à l'initiative individuelle. Si une personne veut faire quelque chose, elle le fait. Sinon, il faut accepter qu'il n'y ait pas nécessairement quelqu'un·e d'autre pour le faire. Dans cet esprit, nous avons un employé qui est devenu le maître en informatique même si ce n'est pas pour cela que nous l'avions initialement engagé. Les personnes se découvrent des talents cachés ou bien ont l'opportunité de mettre de l'avant des compétences personnelles. Cela améliore l'écosystème de notre milieu de travail.

Une fois par année, nous recevons une personne-ressource externe qui vient animer notre groupe pour que l'on se dote de projets d'amélioration. L'an passé, nous en comptions 57 et nous sommes sur le point de tous les réaliser. Par exemple, nous avons aménagé un patio extérieur et développé notre clientèle en faisant du démarchage aux États-Unis.

ÀB ! : Comment les conflits sont-ils gérés ?

V. R. : Déjà, l'enjeu des horaires est important dans notre milieu. Nous avons choisi de ne pas en avoir. Cela amenuise la possibilité de conflits et les gens s'ajustent en fonction des heures d'arrivée de chacun. Il faut aussi savoir que nous avons beaucoup investi en formation, en communication non violente par exemple, pour faciliter les bonnes relations. En ce sens, nous avons aménagé la cafétéria pour créer une ambiance qui favorise les échanges. Cela dit, il y a parfois des conflits, mais nous ne vivons pas dans un climat conflictuel, bien au contraire.

ÀB ! : Pour terminer, comment vous formez-vous ?

V. R. : Depuis quelques années, je suis encadré par une spécialiste en culture d'entreprise libérée que je consulte régulièrement. À la blague, je dis qu'elle m'a appris à devenir un dictateur. En effet, je dois obliger les gens à décider pour et par eux-mêmes !

En ce sens, il faut se tenir loin de la microgestion et il faut faire confiance à notre monde ! Ce qui est génial, c'est que cette philosophie de gestion se répand en Beauce.

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